Doctorants sous contrat : plaider ou enseigner il faut choisir !

Doctorants sous contrat : plaider ou enseigner il faut choisir !
8 janvier 2010 No Comments Enseignement(s) du Droit & Université(s), Publication(s) Josepha DIRRINGER et Morgan SWEENEY

par Josépha Dirringer,  Ylias Ferkane, Sonia Leroy & Morgan Sweeney

Les arrêts qui s’intéressent à la condition des doctorants sont suffisamment rares pour que l’on s’arrête sur celui de la Cour administrative d’appel de Nancy en date du 6 août 2009 [1]. En l’espèce, une allocataire de recherche et monitrice de l’enseignement supérieur (ci-après allocataire-moniteur), statuts aujourd’hui remplacés par le contrat doctoral [2], percevait parallèlement à sa rémunération une indemnité en tant que stagiaire au sein d’un cabinet d’avocat. Recrutée par l’Université de Nancy II, elle n’avait jamais sollicité l’autorisation de cumul des emplois et de rémunération, pourtant exigée dans cette situation. La Cour administrative d’appel de Nancy est saisie, à la suite du tribunal administratif de Nancy, par l’université d’une demande de remboursement des sommes perçues au titre de l’allocation de recherche et du monitorat. Elle fait droit à cette demande.

L’obligation pour l’allocataire-moniteur de solliciter auprès de l’université une autorisation de cumul [3] découle du principe général d’exclusivité professionnelle. Ce principe issu de la loi n°83-634 du 13 juillet 1983, s’impose aux agents non titulaires de droit public. Ces derniers doivent consacrer l’intégralité de leur activité professionnelle aux tâches qui leur sont confiées au sein du service public [4]. Ainsi, un allocataire-moniteur, censé consacrer l’ensemble de son temps de travail à ses recherches et à ses enseignements, ne peut l’employer dans le cadre d’un stage en cabinet d’avocats. Pour autant, on pourrait s’interroger sur la pertinence de la qualification d’un stage comme activité professionnelle. En effet, la chambre sociale de la Cour de cassation a déjà eu l’occasion d’affirmer que l’objet d’une convention de stage est de fournir une formation [5]. Il ne s’agit pas en effet d’un emploi salarié. On pourrait tout autant s’interroger sur la qualification d’activité professionnelle s’agissant de la recherche doctorale [6]. En effet, l’allocataire de recherche, comme le doctorant contractuel aujourd’hui, conserve leur qualité d’étudiant. Par exception au principe général d’exclusivité professionnelle, un agent public peut demander de cumuler son emploi public avec un emploi privé et la rémunération subséquente. Cette règle de non cumul est aménagée, en raison de la spécificité de leur mission, pour les titulaires de l’enseignement supérieur [7], maîtres de conférence et professeurs des universités [8]. Aménagement que l’allocataire-moniteur a peut être cru applicable à son statut, or, les textes qui lui sont applicables prévoient qu’elle ne peut exercer une activité complémentaire dans le secteur privé qu’à la condition d’en demander et d’en recevoir l’autorisation par l’établissement qui l’emploie. Néanmoins, malgré le doute que l’on peut émettre quant à la qualification d’activité professionnelle, entendue largement, il n’est pas contestable que la réalisation du stage est venue entamer le temps que l’allocataire-moniteur aurait dû consacrer à ses recherches, contrepartie de son allocation. Si le principe d’exclusivité professionnelle des agents publics peut se justifier par la volonté d’éviter tout conflit d’intérêts, il se comprend également par la volonté de préserver la santé [9] des travailleurs, en leur évitant un cumul d’emploi trop épuisant.

Par ailleurs, la position adoptée par les juges administratifs peut apparaître quelque peu formaliste. En effet, ils estiment qu’aucune demande de cumul n’avait été formulée, peu important la connaissance que pouvait en avoir par ailleurs les services de l’université. Il apparaît que l’université avait nécessairement connaissance de ce stage, dans la mesure où l’établissement public était partie à la convention de stage. Mais il est incontestable que la ratification de cette convention ne peut tenir lieu de demande et d’acceptation de cumul en application du décret applicable aux allocataires-moniteurs, les services administratifs concernés étant distincts pour chacune de ces procédures [10].…

Si le constat de la faute [11] ne pose pas particulièrement de difficultés, la sanction décidée par le juge administratif est certainement plus critiquable. Confirmant la condamnation la cour administrative d’appel [12] se livre à une interprétation extensive des textes [13] qui ne prévoient que la retenue sur les traitements et non leur remboursement. En l’espèce Mademoiselle T. n’était plus en poste au jour où l’université s’est rendu compte du cumul, si bien que la retenue sur traitement n’était plus d’aucune utilité. Dans ces conditions, le remboursement apparaît comme la meilleure opération de substitution en lieu et place de la sanction.

La faute reprochée à Mademoiselle T. consiste dans l’accomplissement d’un stage à plein temps tandis qu’elle était allocataire-moniteur. L’allocataire-moniteur n’a violé que son obligation d’exclusivité, obligation qui n’est au demeurant qu’accessoire. Dès lors, son non-respect est de nature à engager sa responsabilité contractuelle à hauteur du préjudice subi par l’université. On peut douter toutefois que le montant de ce préjudice corresponde à celui des rémunérations brutes perçues par Mademoiselle T.. Et ce n’est que dans l’hypothèse où elle n’aurait pas effectué ses obligations essentielles (recherche doctorale et travaux dirigés) que les dommages et intérêts auraient pu être évalués à hauteur des sommes susdites. Mais alors on comprend difficilement la prise en compte du monitorat pour le calcul des sommes à rembourser. En effet, l’allocation de recherche a pour objet le financement des travaux de recherche dans le cadre du doctorat, alors que le monitorat, vient en complément, a pour objet le paiement des heures d’enseignements. Or il est affirmé par l’arrêt que Mademoiselle T. a « effectué la totalité de ses travaux dirigés et assuré l’ensemble de ses activités annexes à l’université » [14]. En effet, la cause de l’obligation de l’université existe, dès lors que l’ancienne doctorante a bien effectué ses enseignements. Le remboursement de cette somme pourrait pour le moins être qualifié d’enrichissement sans cause [15] : l’université a joui d’une prestation d’enseignement et au final n’en a rien payé.

Dans une toute autre perspective, il semble que le calcul de la somme à rembourser soit fondé sur la base de la rémunération brute de l’allocataire-moniteur. On peut s’interroger sur l’assiette arrêtée par les juges : pourquoi la rémunération brute plus que la rémunération nette ou le coût total pour l’employeur – cotisations patronales comprise ? Ceci nous amène d’ailleurs à nous interroger sur les droits sociaux de l’allocataire-moniteur suite à sa condamnation [16] . Perd-il également ses points retraite, cotisation maladie… ? Ceci pose très directement la question de la titularité sur ces droits : sont-ils indéfectiblement liés à la cotisation ? Autrement dit, sont-ils maintenus lorsque l’employeur a reçu remboursement des sommes valant cotisation ??


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