Dans l’ouvrage « Initiation au Droit ; introduction encyclopédique aux études & métiers juridiques », plusieurs membres du CLUD présentent ainsi la question du ou des Droits du vin.
Nous en reproduisons ici des extraits (Paris, LGDJ; 2011 (pour la 1ère édition)).
« Nectar des dieux » certes, le vin est aussi un objet de droit(s) et ce, tel le fruit de toute production ou activité humaine et sociale. Son importance économique, nationale et culturelle justifie d’autant plus que le droit s’y intéresse. En 2013, la production mondiale de vin s’est élevée à environ 280 millions d’hectolitres, dont près de 42,3 millions en France (soit 15,7 %). En 2012, la filière vitivinicole française représentait ainsi 9,5 milliards d’euros dans la balance du commerce extérieur. Selon la loi française (loi Griffe du 14 août 1889, abrogée en 2010), les institutions européennes comme l’office international de la vigne (OIV), le vin est défini comme le produit obtenu exclusivement de la fermentation alcoolique du raisin ou du jus de raisin frais. Basée sur l’observation d’un phénomène physique, cette définition établit donc une distinction entre le vin et d’autres boissons alcoolisées. Par exemple, une boisson à l’instar du calimucho, composée d’un mélange de vin et de soda, ne peut être qualifiée de vin, mais seulement de « pré-mix » par la réglementation française.
À l’instar d’un cognac ou d’un bordeaux qui résultent d’assemblages, le droit des vins interpelle et brasse différentes branches du droit (public, privé, international, etc.). En premier lieu, le vin est ainsi considéré du point de vue des droits civil et commercial : il est une « chose » et en l’occurrence une « chose de genre » ce qui implique non seulement que l’on peut en faire le commerce mais encore, aux termes de l’article 1587 du Code civil « que l’on est dans l’usage de [le] goûter avant d’en faire l’achat ». En conséquence, ce qui n’arrangera pas votre caviste, « il n’y a point de vente tant que l’acheteur [n’a pas] goûté (…) et agréé » ! Le vin est certes une chose… mais la chose, en cas d’abus, devient « dangereuse » sous le prisme de la salubrité publique. C’est pourquoi, la publicité pour les boissons alcooliques est strictement encadrée par la loi dite « Evin » du 30 juillet 1987. La législation nationale, l’une des plus sévères au monde, définit ainsi de manière exhaustive les pratiques autorisées. Toutes les autres pratiques sont interdites ; la loi du 23 février 2005 ayant légèrement assoupli ce régime.
Le droit fiscal soumet quant à lui le vin à plusieurs sortes de taxations. Tout d’abord, le transport de vin au-delà d’une certaine quantité est soumis à des droits d’accises, prélevés auprès des services de douane. Concrètement, la taxation se matérialise alors par l’apposition d’une capsule (dite congé ou CRD : capsule représentative de droit) sur toute bouteille d’alcool sur laquelle figurent non seulement la Marianne mais également des mentions obligatoires et telles que l’identification de l’embouteilleur ou le département du lieu de production. En outre, le vin est également soumis à la taxe sur la valeur ajoutée. Enfin, pour des finalités de santé publique, une autre cotisation est prélevée sur les boissons alcooliques (dont le vin).
Le droit administratif assure quant à lui, vis-à-vis du vin, le respect des droits de distribution (licences) et la protection des appellations d’origine (simples ou contrôlées) et des indications géographiques. Ainsi, depuis le xvie siècle, des textes visent-ils en France à classer et à valoriser des vins en fonction de leur origine géographique et ce, à condition que soient respectées certaines règles de production et de commercialisation. S’inspirant de la législation française, l’Union européenne a de même institué dès 1970 des labels de nature à éclairer les consommateurs quant à la qualité des produits. Depuis le règlement de l’Union européenne du 29 avril 2008, une distinction est établie entre les vins avec indication géographique et ceux sans indication géographique ; la première catégorie distinguant elle-même entre les appellations d’origine protégée et les indications géographiques protégées. Compte tenu des conséquences commerciales, la délimitation des parcelles viticoles peut devenir une source importante de contentieux. En témoigne l’affaire du Château d’Arsac, qui a donné lieu à cinq décisions du Conseil d’Etat en dix ans. La délimitation parcellaire de 1954 (acte administratif unilatéral) n’avait en effet pas classé ces terres en appellation d’origine contrôlée (AOC) Margaux, ce que contestait leur propriétaire. Mais, si ce dernier a obtenu gain de cause, il a dû par la suite affronter l’hostilité du syndicat local de défense de l’appellation. Le droit du vin (comme celui des spiritueux) est en effet marqué par la place de ces groupements professionnels, qui ont activement participé à la reconnaissance des appellations et à la lutte contre les fraudes. Les syndicats viticoles ont d’ailleurs contribué à une avancée décisive du droit syndical en obtenant la reconnaissance de l’intervention des groupements comme partie civile pour la défense de l’intérêt général de la profession (Cass., chambres réunies, 5 avril 1913). Aujourd’hui encore, une appellation d’origine ne peut être attribuée par décret en Conseil d’Etat que sur proposition par l’institut national de l’origine et de la qualité (INAO) après avis des syndicats de défense et de gestion intéressés. Le produit, une fois classé, est alors protégé par le droit de la propriété intellectuelle.
Mais le vin voyage entre les pays autant qu’il peut (parfois) faire voyager l’esprit. Par conséquent, son droit est-il sujet à deux réglementations internationales : l’une régionale – celle du droit de l’Union européenne –, l’autre mondiale – celle du droit de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Ces normes sont avant tout sectorielles : elles n’intéressent le droit du vin que sous des angles spécifiques. Outre la valorisation d’une vitiviniculture de qualité (cf. supra), l’Union européenne a ainsi entrepris de réguler le marché vitivinicole dans le cadre de la politique agricole commune (PAC), afin de lutter contre les productions excédentaires et de faire face à une concurrence étrangère croissante. Exemple topique des difficultés liées à l’harmonisation de ces objectifs : en janvier 2009, la Commission européenne a proposé un projet de règlement destiné à adapter certaines pratiques œnologiques à celles définies par l’OMC lesquelles, plus souples, favorisaient la concurrence étrangère. Elle suggéra ainsi d’autoriser la production de vin rosé à partir de mélange de vins blanc et rouge. Pris sous le feu divergeant de différents lobbyings (celui d’entrepreneurs – parfois étrangers –, comme celui de viticulteurs) et les pressions des divers Etats membres, la Commission renonça finalement, en juin 2009, à cette mesure.
L’organisation commune du marché vitivinicole (OCM) vise quant à elle depuis 1970 à stabiliser les marchés et à garantir un niveau de vie équitable pour les agriculteurs. À ces fins ont été institués des droits de plantation et a été planifié l’arrachage de 175 000 hectares de pieds de vigne. De même, l’Union européenne alloue-t-elle un certain nombre d’aides destinées notamment à favoriser les exportations commerciales (financement de campagnes promotionnelles des vins européens dans les pays tiers). Ce faisant, en 2007, l’OCM vitivinicole a été intégrée à un « OCM unique » qui doit réguler le marché pour plus de 20 filières agricoles. Par ailleurs, les réglementations de l’Union européenne et de l’OMC s’efforcent de maîtriser l’impact des cultures viticoles sur l’environnement, qu’il s’agisse des cultures intensives et notamment de l’emploi des pesticides ou, plus récemment, de l’introduction des OGM.
Enfin, mentionnons également que le règlement communautaire du 29 avril 2008 a réformé la politique vitivinicole de l’Union en transférant au profit des Etats l’exercice de nombreuses compétences (notamment en matière de distribution et d’emploi des subventions européennes). De fait, la construction européenne ne peut ici être assimilée comme menant inexorablement à transférer toujours plus de compétences vers les institutions européennes. Le droit du vin apparaît alors tel un théâtre où droit international et droit national se prêtent à des influences réciproques et ce, dans des proportions sans cesse recomposées.
EF, Cl.F, Gu.C & MTD
Conseils de lecture
Bahans Jean-Marc et Menjucq Michel, Droit de la vigne et du vin : aspects juridiques du marché vitivinicole, Paris, Litec, 2e éd., 2010 ; Olszak Norbert, Droit des appellations d’origine et indications de provenance, Paris, Tec et Doc, 2001 ; travaux récents et revigorants des centres (bordelais) du Cerdac et du Cahd déjà producteurs des deux ouvrages suivants (dir.), Les pouvoirs publics, la vigne et le vin, Bordeaux, Féret, 2008 et Histoire et actualité du droit viticole : la Robe et le vin, Bordeaux, Féret, 2010.