A propos des réformes contemporaines du droit de la fonction publique, M. Touzeil-Divina nous propose ici (et ce, en annonce du 1er colloque du CLUD) quelques premières réflexions (avec l’aimable autorisation de l’AJFP (éditions Dalloz) où un article issu de ces commentaires sera publié en septembre 2010 :
S’il est bien un code que l’on nous annonce depuis longtemps, c’est celui de la ou des fonction(s) publique(s). Attendue, espérée et parfois crainte, ladite codification a sans cesse été repoussée et peut-être est-ce tout simplement [1]. parce que ce nouveau code est en attente de « la » décision juridique et politique qui le révolutionnerait (en dépit des préoccupations de codification à droit constant [2] : une radicale privatisation de la fonction publique. Un tel phénomène n’est pourtant pas récent et l’on pourra même écrire qu’il a toujours existé a minima car la fonction publique n’a jamais connu, ex nihilo, de statut purement exorbitant et totalement déconnecté du droit privé du travail. Ainsi, aux origines de l’emploi public, la plupart des premiers agents furent-ils créés en réaction au droit commun [3] et ce, afin d’y échapper. C’est bien du droit privé que la fonction publique est née et si, petit à petit, elle a d’abord accentué ses différences afin de s’affirmer (de l’Ancien Régime au XIXème siècle [4], elle semble, depuis le statut général de 1946, revenir à ses origines … Aussi, contrairement à ce que d’aucuns prétendent de façon souvent plus politique que juridique, il n’y a jamais vraiment eu de statut purement ou uniquement exorbitant du droit commun (qui lui-même contient de nombreuses exceptions). Au contraire, il semble avoir toujours existé une multitude de situations au sein de l’emploi et du travail, tant publics que privés, avec une gradation des exorbitances et des exceptions au profit de la personne publique. Il n’existerait donc pas de façon schématique (et pratique) un droit privé du travail et une fonction publique exorbitante et privilégiée mais, comme pour la domanialité, une échelle graduée d’emplois avec plus ou moins d’affirmation du droit public [5]. C’est pourquoi nous préférons largement l’expression de fonctions publiques à celle, au singulier, de fonction publique. La première, seule, nous semble effectivement faire état des complexités et diversités de la situation de l’emploi public qui comprend autant de situations diverses [6] que celles de : fonctionnaires proprement dits (et soumis au statut général), de fonctionnaires à statuts particuliers, de contractuels de droit public (à durée déterminée ou même indéterminée [7]) ou encore de contractuels de droit privé. En outre, il faut aussi distinguer les trois catégories de fonctionnaires : d’Etat, de la territoriale ou encore des hôpitaux.
Mais si, selon nous, cette « échelle de gradation publique » a toujours existé selon nous et qu’il y a donc toujours eu de nombreuses situations dites de fonction publique finalement très proches du secteur et du droit privés [8], force est aujourd’hui de constater que ce phénomène s’est considérablement accentué [9] et ce, à tel point, que plusieurs auteurs n’hésitent plus à parler de travaillisation ou de privatisation (au sens général et non plus pour des situations particulières) de « la » fonction publique. Aussi, c’est à l’aune du « livre blanc sur l’avenir de la fonction publique [10] » mais également des projets contemporains de réforme de cette matière et surtout de la Loi du 03 août 2009 que nous voudrions dresser un état des lieux de ces fonctions publiques entre travaillisation et privatisation. Remarquons alors dès maintenant que l’emploi expresse de ces deux termes [11] , synonymes au sens large en ce qu’ils traduisent chacun un phénomène de rapprochement vers le droit privé (du travail), n’est pas anodin au sens strict et révèlerait, selon nous, une différence profonde :
– par « travaillisation », nous entendrons le phénomène constant et évolutif d’interaction parallèle des droits privé et public au sein de l’Unité du droit. Cette « travaillisation » des fonctions publiques est alors bénéfique car elle tend à faire profiter le droit « voisin » du travail (public comme privé) du fruit d’un dialogue des droits, des juges et des doctrines.
– par « privatisation », en revanche, nous comprendrons la décision politique (puis juridique) de suppression pure de l’emploi public au profit d’un changement radical de nivellement par le bas des situations de droit privé avec une négation des spécificités publiques.
Nous décrirons en ce sens les deux phénomènes ainsi définis par l’existence d’une travaillisation continue de la gestion et des moyens publics (I) qui tend, de façon contemporaine, à se transformer en privatisation manifeste de l’emploi public [12] (II). (…)
(…) la suite de la contribution du pr. Touzeil-Divina (avec les notes de bas de pages afférentes) est publiée à l’AJFP.