Les véritables enjeux
du projet de réforme de l’enseignement supérieur et de la recherche
Quel serait le nouveau visage de l’université si le projet de loi relatif à l’enseignement supérieur et à la recherche était adopté ? Derrière de louables objectifs, le projet ne donne-t-il pas naissance à des super-lycées ? Ne contribue-t-il pas à une planification régionale renforcée par des opérations forcées de fusion ou de regroupements d’universités visant à réduire les interlocuteurs de l’Etat ? L’ambition du gouvernement est claire : transformer l’université afin de garantir l’université pour tous, la licence pour tous, et par suite un emploi pour tous. Mais les pouvoirs publics ne semblent pas avoir perçu les dangers qu’emporte une telle métamorphose.
Tout d’abord, à budget constant pour l’enseignement supérieur, l’ambition « réussir sa licence » du gouvernement ne peut se traduire concrètement que par la création de « nouveaux grands lycées » en lieu et place de la licence. N’ayons pas peur d’employer les mots qui fâchent. Le gouvernement devrait expliquer ouvertement pourquoi il décide d’assumer un double risque. Premièrement celui d’organiser une formation au rabais. En effet, au lieu de traiter sérieusement la question de la formation au collège et au lycée, c’est un calibrage à la baisse de la formation universitaire qui menace d’être conforté par le principe de continuité entre l’enseignement secondaire et l’enseignement supérieur nouvellement brocardé et inscrit dans la loi (article 17 du projet). Deuxièmement, le risque de creuser un fossé encore plus grand entre les grandes écoles et les écoles privées d’un côté et les universités de l’autre, car le cursus universitaire sera destiné aux élèves qui ont besoin d’être accompagnés dans la continuité pendant que les plus forts (forts d’une excellente formation dans le secondaire) entreprendront, eux, le saut dans les établissements du supérieur sélectifs à l’entrée. C’est au contraire d’un investissement régulier et conséquent en termes de dotations dont ont besoin le secondaire et l’université pour donner à tous les étudiants des chances identiques dans les formations du supérieur, à l’instar de ce qui est fait pour les étudiants des classes préparatoires et des grandes écoles et pour éviter la consécration de l’université à deux vitesses.
Ensuite, les objectifs cumulés de planification régionale forcée et de simplification des offres de formation relèvent d’un esprit d’embrigadement et d’hyperprofessionnalisation contraire à la liberté indispensable à l’enrichissement du savoir dans un environnement extrêmement concurrentiel. En témoignent trois exemples. Premièrement, le projet abandonne le principe de l’autonomie de l’université pour celui d’une planification avec transferts et partages de compétences en faveur de gigantesques groupes d’établissements à une échelle quasi-régionale, lesdits sites. Cette restructuration pourtant coûteuse que justifie aux yeux du ministère le sacro-saint principe de coordination, ne pourra que fatalement déboucher sur une technocratisation des procédures, une centralisation des décisions, une banalisation des diplômes et par suite tant leur appauvrissement que celui des pôles de recherche alors qu’il s’impose de stimuler la créativité. Deuxièmement, la politique d’efficacité clairement affichée par le projet risque d’aboutir à la marginalisation institutionnelle de certains savoirs, ceux qui paraissent les moins utiles en termes de débouchés professionnels ou d’application industrielle. En effet, les grands secteurs de formation sont supprimés dans la composition des conseils, à savoir les disciplines juridiques, économiques et de gestion, les lettres et sciences humaines et sociales, les sciences et technologies et les disciplines de santé. Or, cette abrogation (prévue par l’article 37 du projet) signifie que dans ces gros ensembles construits par fusion forcée, par suite nécessairement pluridisciplinaires, les disciplines les moins encadrées risquent de ne pas être représentées, comme d’ailleurs au niveau d’une même université (par exemple le droit, les sciences politiques, la sociologie, …). Troisièmement, l’objectif de lisibilité des diplômes est aussi touché par le gigantisme planificateur puisqu’une nomenclature rigide est censée clarifier l’offre des mastères. En bref, là encore, des carcans inutiles, des freins à l’innovation, des simplifications réductrices et une uniformisation des savoirs centrés sur les seuls métiers et secteurs d’activité. Tout le contraire de ce qu’exige la vitalité de l’enseignement supérieur et de la recherche.
Pourtant les citoyens, les étudiants et les universitaires n’attendent-ils pas du gouvernement un autre engagement que celui qui se borne à fonder de nouveaux super-lycées et à légitimer de nouveaux mammouths ?
Valérie Lasserre, Professeur de droit privé à l’Université du Maine
Mathieu Touzeil-Divina, Professeur de droit public à l’Université du Maine
Marc Boninchi, Maître de conférences en histoire du droit à l’Université Lyon III