A lire ce titre on pourrait s’attendre à trouver, dans le sillage du film Illégal d’Olivier Masset-Depasse, un papier sur la façon dont les clandestins, au fil des jours, vivent ou plutôt survivent dans notre pays.
Rien de tel pourtant ici. Il s’agirait plutôt de dénoncer comment l’Etat lui-même se fait clandestin dans l’application de ses propres lois, comment l’administration française enfreint, quotidiennement, l’ensemble des principes et des règles qui fondent un Etat de Droit et comment toute la machinerie étatique se rend complice de ces agissements.
I La police
Pour qui travaille auprès des étrangers placés en rétention administrative, l’existence des contrôles au faciès devient une réalité irréfutable.
Combien de retenus arrivent dans les Centres de rétention après avoir été contrôlés à la sortie d’une gare de métro alors que, titre de transport en règle, rien ne laissait augurer qu’ils étaient sans-papiers ? Combien d’étrangers s’indignent de ce que sur l’ensemble d’une rame de train, ils ont été les seuls à se voir demander leur carte d’identité voire, parfois, directement leur titre de séjour comme si le fait d’être noir, jaune ou gris permettait de présager de l’extranéité de quelqu’un ?
Mais les dérapages de la police, guidée par des objectifs chiffrés pour lesquels le Ministère de l’Intérieur impose une obligation de résultat(s), ne s’arrête hélas guère à de « simples » interpellations au faciès.
L’article 803 du Code de procédure pénale énonce très clairement que « nul ne peut être soumis au port des menottes ou des entraves que s’il est considéré soit comme dangereux pour autrui ou pour lui-même, soit comme susceptible de tenter de prendre la fuite ».
Pourtant, combien de ces étrangers sont arrivés dans les Centres de rétention les poignets marqués par le port de menottes trop serrées alors même que leur arrestation s’était déroulée sans le moindre incident ? Impossible de les dénombrer… Nous entendions il y a quelques jours un fonctionnaire de police répondre à un étranger qui se plaignait de douleurs au poignet :
« C’est parce que vous avez trop gigoté dans la voiture ! Et puis, nous aussi à l’entraînement ça nous a fait mal ! Vous verrez, ça passe… »
Une telle remarque est-elle concevable au sein d’une police républicaine ?
Une fois remis aux agents de police du Centre de rétention, les étrangers subissent de nouveaux affronts dont les plus fréquentes ne sont pas, comme l’on pourrait le croire, à ranger dans la catégorie des brimades. Non, la police, et c’est heureux, sait qu’il y a un point au-delà duquel il n’est pas possible d’aller, ce qui ne signifie pas pour autant que les violences policières en rétention soient une affabulation des droits de l’hommistes, loin s’en faut…
Reste que la police est passée maître dans l’art de faire entrave, de manière insidieuse, à l’exercice effectif des droits que les étrangers tiennent de leur statut de retenu administratif. Tantôt l’accès au coffre – lieu où les affaires du retenu sont stockées soit qu’il n’ait pas le droit de les avoir avec lui dans le Centre, soit qu’il préfère les y laisser – est impossible, tantôt les demandes d’asile ne sont pas transmises à temps, tantôt enfin le retenu n’a droit qu’à dix minutes de visite au lieu des trente minutes prévues car le temps d’attente du visiteur à l’entrée du CRA est imputé sur le temps de la visite… Les exemples sont légions. Inutile d’être exhaustif.
D’aucuns objecteront que la police, de part sa mission même, ne peut être exemplaire et que des dérapages sont inévitables. Bien que nous soyons plutôt enclin à considérer que l’exigence d’exemplarité doit être d’autant plus forte que la mission exercée comporte un potentiel liberticide, nous nous contenterons de répondre que loin d’être le fait de quelques agents isolés, il règne, dans les Centres de rétention, une ambiance nauséabonde et un climat général de défiance, voire d’agressivité, à l’égard des « pensionnaires » (sic). Or, et c’est là où le bât blesse, cette attitude hostile s’étend bien au-delà du corps des fonctionnaires de police.
II Le service médical
Voici le serment d’Hippocrate que les médecins doivent prêter devant leur Ordre :
« Au moment d’être admis(e) à exercer la médecine, je promets et je jure d’être fidèle aux lois de l’honneur et de la probité. Mon premier souci sera de rétablir, de préserver ou de promouvoir la santé dans tous ses éléments, physiques et mentaux, individuels et sociaux. (…)
Je ferai tout pour soulager les souffrances. Je ne prolongerai pas abusivement les agonies. Je ne provoquerai jamais la mort délibérément.
Je préserverai l’indépendance nécessaire à l’accomplissement de ma mission.
Je n’entreprendrai rien qui dépasse mes compétences. Je les entretiendrai et les perfectionnerai pour assurer au mieux les services qui me seront demandés.
J’apporterai mon aide à mes confrères ainsi qu’à leurs familles dans l’adversité.
Que les hommes et mes confrères m’accordent leur estime si je suis fidèle à mes promesses ; que je sois déshonoré(e) et méprisé(e) si j’y manque. »
A son arrivée au Centre de rétention, l’étranger est présenté au service médical pour déterminer si son état de santé est compatible avec la mesure de rétention. Sauf cas dangereux pour autrui (SIDA, tuberculose…), la réponse est systématiquement positive.
Pourtant, à plusieurs reprises déjà, la Cour européenne des droits de l’Homme, saisie sur le fondement de l’article 39 de son règlement – qui permet le prononcé de mesures provisoires en cas de risque imminent de violation d’un droit protégé par la Convention –, a suspendu l’éloignement de personnes dont l’état de santé était critique et dont le renvoi dans le pays d’origine laissait craindre une violation de l’article 3 de la Convention EDH [1].
La première de ces personnes était gravement toxicomane et schizophrène. Après une déclaration de compatibilité à l’arrivée en rétention, le juge des libertés et de la détention ordonna une contre-expertise laquelle fut pratiquée… par le médecin du Centre de rétention… Bien évidemment maintenu en rétention, la Cour européenne des droits de l’Homme pris le parti de suspendre son éloignement vers le Mali car les doutes quant aux possibilités d’accéder à son traitement substitutif dans son pays d’origine faisait planer un risque de violation de la Convention.
Quelle fût la réaction de l’infirmière lorsqu’on lui apprit que l’intéressé revenait de l’aéroport ?
« Ah ! Ca ! Ca ne m’étonne pas qu’il ait choisi de revenir : tout est gratuit ici ! ».
La seconde de ces personnes, elle aussi toxicomane au plus haut degré, avait été déclarée compatible. Après trois tentatives de suicide par pendaison, des mutilations à la lame de rasoir sur toutes les parties du corps qui comprennent des veines et artères suffisamment importantes, la Préfecture, couverte par l’avis positif du service médical, refusait toujours de libérer l’intéressé. A croire qu’il est plus important d’atteindre l’objectif ministériel que de sauver une vie… Là encore, il a fallu qu’une instance supranationale ordonne la suspension de l’éloignement.
Si elles ne résument pas l’activité des services médicaux en rétention, ces décisions de la Cour européenne des droits l’Homme, pourtant peu habituée à suspendre des éloignements pour des raisons de santé, n’en constituent pas moins de véritables désaveux du service concerné. Par leur caractère exceptionnel, elles mettent sous les projecteurs le manque de clairvoyance d’un service médical dévoyé, soumis, lui aussi, à des pressions politiques et pour lequel le serment d’Hippocrate ne semble plus s’apparenter qu’à un souvenir aux contours imprécis.
Plus largement, trois interrogations cruciales nous paraissent devoir être soulevées :
1. Comment se fait-il, compte tenu du stress incommensurable qu’endurent les retenus durant leur période de privation de liberté, qu’aucun psychologue ou psychiatre ne soit présent dans les Centres de rétention ?
2. Comment se fait-il, alors que les enjeux sont si grands, qu’une contre-expertise ordonnée par un magistrat judiciaire soit pratiquée par le médecin du centre de rétention ayant rendu la première décision de compatibilité ?
3. Comment un magistrat de l’ordre judiciaire peut-il accepter de maintenir la mesure de rétention lorsqu’il sait dans quelles conditions sont pratiquées les contre-expertises ?
Si la réponse aux deux premières questions relève de la compétence du législateur, la réponse à la troisième tient, à notre sens, à la partialité des magistrats, judiciaires et administratifs, appelés à statuer sur la situation des étrangers retenus.
A suivre.
Me. Benjamin FRANCOS
(1) Le respect du secret professionnel nous interdit de communiquer le nom de ces personnes ainsi que le service médical mis en cause