Responsabilité civile nucléaire

Responsabilité civile nucléaire
15 avril 2011 No Comments Unité(s) du Droit Catherine ROCHE

par Mme Catherine Roche,
Membre du Collectif l’Unité du Droit
MCF-HDR en droit public. CERETE EA 4237
Faculté de Droit et des Sciences Sociales de Poitiers.
Direction Master 2 Droit de l’environnement industriel.

Suite à la catastrophe de Fukushima et 25 ans après la catastrophe de Tchernobyl, il nous a semblé intéressant de rappeler brièvement la réglementation relative à l’indemnisation des victimes en cas d’accident nucléaire.

Après la guerre, l’industrie nucléaire civile a commencé à se développer dans certains pays industrialisés, dont bien entendu la France. Mais s’est rapidement posé le problème de l’indemnisation des victimes d’éventuels accidents. Et plusieurs aspects du problème ont amené à réfléchir à l’instauration d’un régime spécifique de responsabilité civile. En effet le droit commun de la responsabilité civile n’était pas adapté à cette activité : il faut que les victimes aient la certitude d’être indemnisées et ceci sans avoir à prouver la responsabilité de l’un ou de l’autre (exploitant, sous-traitant…). Le régime de responsabilité civile devait donc être favorable aux victimes, mais dans le même temps ne devait pas faire peser une charge trop importante sur l’exploitant, ce qui aurait pu décourager de futurs investisseurs. Enfin, les conséquences d’un accident nucléaires ne sont pas toujours limitées au voisinage immédiat et national de l’installation nucléaire, elles peuvent se faire sentir au-delà des frontières, d’où la nécessité de mettre en place un régime international de responsabilité civile nucléaire (RCN).

I.      Les Conventions de Paris et de Bruxelles

Le 29 juillet 1960 a été adoptée par les pays membres de l’OCDE, la Convention sur la responsabilité civile dans le domaine de l’énergie nucléaire dite Convention de Paris (modifiée par 2 protocoles, de 1964 et 1982). Elle est entrée en vigueur, le 1er avril 1968.

Elle a été ratifiée par 16 Etats, dont la France le 9 mars 1966.

Cette convention répond aux 3 problématiques citées :

  • Dans l’intérêt des victimes, elle pose le principe d’une responsabilité objective (sans faute) et exclusive de l’exploitant (canalisation de le responsabilité, les victimes ne connaissant que l’exploitant, quelle que soit la cause ou la personne responsable de l’accident).
  • En contrepartie, la responsabilité de l’exploitant est limitée à la fois dans son montant (infra) et dans le temps : les victimes ont 10 ans à compter de l’accident pour présenter leur demande d’indemnisation.

Afin de garantir l’indemnisation des victimes, l’exploitant doit constituer des garanties financières correspondant au montant de sa responsabilité. Ces garanties peuvent être constituées de différentes façons et notamment par l’assurance.

  • La convention pose également le principe de l’indemnisation des victimes du pays de l’accident et des pays voisins (notion élargie) et ce, quelle que soit leur nationalité, domicile…

Enfin, cette indemnisation porte sur les dommages causés aux personnes et aux biens.

La convention prévoit également une harmonisation des législations nationales puisque la compétence des tribunaux de l’Etat de l’accident est reconnue et que la loi de l’Etat de l’accident est applicable.

Il est cependant vite apparu que le régime d’indemnisation mis en place par la Convention de Paris serait insuffisant. C’est pourquoi la Convention de Bruxelles du 31 janvier 1963 complémentaire à celle de Paris, institue un régime d’indemnisation complémentaire.

Elle met en place, en plus de l’indemnisation due par l’exploitant,

  • Un fonds garanti par l’Etat du lieu de l’accident,
  • Un fonds garanti par des contributions des Etats parties à la convention de Bruxelles

La convention de Bruxelles (modifiée par les protocoles de 1964 et 1982) est entrée en vigueur 4 décembre 1974. Elle a été ratifiée par 12 Etats, dont la France le 30 mars 1966.

Pour résumer, le régime d’indemnisation Paris-Bruxelles prévoit 3 tranches d’indemnisation :

–        1ere tranche: chaque Etat fixe par loi le montant des garanties financières de l’exploitant  qui doit être d’au moins 5 millions de DTS.

–        2è tranche : une indemnisation complémentaire est due par l’Etat du lieu de l’accident pour un maximum de  175 millions de DTS (tranche 1 + tranche 2).

–        3ème tranche: un fonds alimenté par les parties à la Convention: 125 millions de DTS (qui s’ajoute aux précédents).

Les DTS (Droits de Tirage Spéciaux) sont des unités de comptes utilisées par le FMI. Sa valeur est basée sur un panier de quatre grandes devises.

Actuellement 1 DTR = 1,11727 €.

Cependant, après l’accident de Tchernobyl, il est devenu évident que le plafond d’indemnisation ne permettrait pas d’indemniser l’ensemble des victimes en cas d’accident ayant des conséquences graves.

C’est pourquoi, en 2004 a été adopté un Protocole d’amendement  aux conventions de Paris et Bruxelles.

Ce protocole devait permettre de renforcer les garanties prévues pour l’indemnisation des victimes d’accidents nucléaires.

Le protocole de 2004 :

  • élargit la définition du dommage nucléaire qui ne porterait plus uniquement sur les personnes et les biens, mais également :

–  tout dommage immatériel résultant d’une perte ou d’un dommage aux personnes ou aux biens ;

– le coût des mesures de restauration d’un environnement dégradé ;

– tout manque à gagner directement en relation avec une utilisation ou une jouissance quelconque de l’environnement ;

– le coût des mesures de sauvegarde et toute autre perte ou tout autre dommage causé par de telles mesures.

  • Il élargit le champ d’application géographique à certains Etats non parties à la convention de Paris.
  • Elargit le champ des INB (Installations Nucléaires de Base) concernées
  • Limite les exonérations de responsabilité de l’exploitant aux seules situations de conflit armé, hostilités, guerre civile, insurrection.
  • Rallonge les délais de prescription à 30 ans pour les dommages causés aux personnes et 10 ans pour tous les autres dommages.
  • Surtout, le protocole augmente très sensiblement les plafonds d’indemnisation prévus par la Convention de Bruxelles.

En effet, le régime d’indemnisation Paris-Bruxelles + Protocole de 2004 prévoit:

–        1ere tranche: chaque Etat fixe par loi le montant des garanties financières de l’exploitant  ≥ 700 millions d’euros (jusqu’à illimitée mais au choix de l’Etat).

–        2è tranche : indemnisation complémentaire par l’Etat du lieu de l’accident (1 +2) =1200  millions d’euros.

–        3ème tranche: fonds des parties à la Convention: 300 millions d’euros.

Ce qui au total porterait le montant total à 1,5 milliard d’euros au lieu de (environ) 350 millions d’euros actuellement.

Malheureusement, le conditionnel reste de mise, puisque le protocole n’est pas entré en vigueur faute d’un nombre suffisant de ratifications.

En France, c’est la loi n°68-943 du 30 octobre 1968 relative à la responsabilité civile dans le domaine de l’énergie nucléaire (modifiée en 1990 et 2006) qui fixe les dispositions qui sont laissées à l’initiative de chaque partie contractante par les conventions Paris-Bruxelles.

Elle fixe notamment à 91 469 410 €, le montant dû par l’exploitant au titre de la responsabilité civile nucléaire (montant qui passera à 700 M€ dès l’entrée en vigueur du protocole de 2004).  Chaque exploitant est tenu d’avoir une assurance ou une autre garantie financière à concurrence par accident, du montant de sa responsabilité.

Au-delà de ce montant, les victimes sont indemnisées dans les conditions et limites fixées par la Convention de Bruxelles.

S’il apparaît que les sommes maximales disponibles risquent d’être insuffisantes pour réparer l’ensemble des dommages subis par les victimes, un décret en conseil des ministres fixera les modalités de réparation. Dans ce cas les dommages corporels seront réparés en priorité.

Les actions se prescrivent en 3 ans à compter du jour où la victime a eu, ou aurait raisonnablement dû avoir connaissance du dommage, mais ne peuvent toutefois être intentées plus de 10 ans après l’accident.

La loi  prévoit également la compétence  du TGI de Paris.

 II.      La Convention de Vienne.

Les conventions de Paris-Bruxelles ont été adoptées dans le cadre de l’Agence de l’OCDE pour l’énergie atomique, et même si elles sont ouvertes à d’autres Etats, elle restent en fait à portée plutôt régionale. Le 21 mai 1963 a été adoptée la Convention de Vienne relative à la responsabilité civile en matière de dommages nucléaires sous l’égide de l’AIEA (Agence Internationale pour l’Energie Atomique). Elle est entrée en vigueur le 12 novembre 1977. La Convention de Vienne est une convention à portée universelle, qui avant l’accident de Tchernobyl n’avait attiré que peu d’Etats mais qui regroupe aujourd’hui 36 Etats parties. A noter que le Japon n’est pas partie à cette convention, ni bien sûr à celles de Paris et Bruxelles.

La convention de Vienne a été complétée par un protocole d’amendement en 1997 et par la Convention sur la Réparation complémentaire de la même année mais qui n’est pas entrée en vigueur faute d’un nombre suffisant de ratifications.

La convention de Vienne applique les mêmes principes de responsabilité objective et exclusive de l’exploitant, avec en contrepartie une indemnisation limitée dans son montant (300 Millions de DTS au moins, soit dus intégralement par l’exploitant, soit par l’exploitant et l’Etat, au choix de l’Etat) et dans le temps.

Si la Convention sur la Réparation complémentaire entrait en vigueur, on retrouverait un système à 3 paliers, similaire à celui prévu par les conventions de Paris-Bruxelles qui serait de :

•         1ère tranche d’indemnisation ≥ 300 millions DTS

•         2 ème tranche internationale à définir mais sans doute ≥ 300 millions DTS

La Convention élargissant également le champ des dommages et victimes pris en compte.

III.      Le Protocole commun.

Après l’accident de Tchernobyl, il est notamment apparu que la coexistence des deux systèmes de responsabilité, Paris-Bruxelles et Vienne pourrait poser problème. C’est pourquoi un Protocole commun relatif à l’application de la Convention de Vienne et de la Convention de Paris a été adopté le 21 septembre 1988 (entré en vigueur le 27 avril 1992 ; ratifié par 26 Etats mais pas par la France). En application du protocole (pour les Etats qui y sont parties) « l’exploitant d’une installation nucléaire située sur le territoire d’une Partie à la Convention de Vienne est responsable conformément à cette convention pour les dommages nucléaires subis sur le territoire d’une Partie à la Convention de Paris et le Protocole », et vice-versa.

L’activité nucléaire fait l’objet d’une réglementation abondante, et le choix de ne traiter ici que de la responsabilité civile nucléaire est tout à fait partial. Ainsi, la question de la sûreté nucléaire fait l’objet d’une réglementation importante et actuellement de nombreux débats au sein des instances spécialisées.


 Pour info :

•          La sécurité nucléaire comprend la sûreté nucléaire, la radioprotection, la prévention et la lutte contre les actes de malveillance, ainsi que les actions de sécurité civile en cas d’accident.

•          La sûreté nucléaire est l’ensemble des dispositions techniques et des mesures d’organisation relatives à la conception, à la construction, au fonctionnement, à l’arrêt et au démantèlement des installations nucléaires de base, ainsi qu’au transport des substances radioactives, prises en vue de prévenir les accidents ou d’en limiter les effets.

•          La radioprotection / la protection contre les rayonnements ionisants, comprend l’ensemble des règles, des procédures et des moyens de prévention et de surveillance visant à empêcher ou à réduire les effets nocifs des rayonnements ionisants produits sur les personnes, directement ou indirectement, y compris par les atteintes portées à l’environnement.

Loi n° 2006-686 du 13 juin 2006 relative à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire (TSN), art. 1. 

Pour aller plus loin :

– Agence pour l’Energie nucléaire de l’OCDE : le droit nucléaire international : histoire, évolution et perspectives. OCDE, 2010

– Pelzer N : Réflexions portant sur l’indemnisation et la réparation des dommages nucléaires à l’environnement. Bull. de droit nucléaire n°86,vol. 2010/2, p55.

– Lahorgue M-B : Vingt ans après Tchernobyl : un nouveau régime international de responsabilité civile nucléaire. JDI, 2007/1.

– AIEA : Manuel de droit nucléaire, 2006.

 – Sites internet de l’AIEA, de l’AEN (OCDE), de l’ASN, de l’IRSN, du CEA.

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