Conférence du 21 janvier 2020
Conférence du 21 janvier 2020
A l’heure où vient d’être adoptée la nouvelle Loi de « transformation de la fonction publique » (Loi n° 2019-828 du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique), le Journal du Droit Administratif est heureux de soutenir l’initiative toulousaine des Centre de Droit des Affaires (CDA) & Institut Maurice Hauriou (IMH) de l’Université Toulouse 1 Capitole avec le soutien du Collectif L’Unité du Droit.
Le Centre de Droit des Affaires et l’Institut Maurice Hauriou proposent en effet, sous la coordination des professeurs Isabelle Desbarats, Pierre Esplugas-Labatut et Mathieu Touzeil-Divina, de septembre 2019 à janvier 2020, un cycle inédit, sous forme de regards croisés entre spécialistes de droit du travail et droit des fonctions publiques, de cinq conférences mensuelles autour du thème : « Les transformations de la fonction publique : tous travailleurs ? ».
Le JDA – sous la plume de M. Mathias Amilhat – vous propose ici le 5e et dernier compte-rendu de ce cycle de conférences matérialisé, salle Gabriel Marty, le 21 janvier 2020.
Le Professeur Pierre Esplugas-Labatut accueille les participants et présente la dernière conférence. L’objectif du jour est de savoir s’il existe ou non un rapprochement en matière d’éthique entre les salariés et les fonctionnaires. Il présente, et remercie, les deux intervenants du jour : Maître Laurent Nougarolis et le Professeur Anthony Taillefait.
Il remercie les Professeurs Isabelle Desbarats et Mathieu Touzeil-Divina qui n’ont pu être présents, ainsi que les directeurs de l’Institut Maurice Hauriou.
Le Professeur Pierre Esplugas-Labatut donne la parole à Maître Laurent Nougarolis, avocat spécialisé en droit social.
Maître Nougarolis commence sa présentation en expliquant que, si le sujet a tout de suite suscité de nombreuses interrogations, il a été plus difficile d’articuler les idées qu’il ne le pensait.
La question posée est de savoir si ces deux catégories de travailleurs que sont les salariés et les fonctionnaires partagent une éthique identique. En principe la réponse est oui, mais il faut alors se demander quelles sont ces valeurs et sur quel socle elles reposent.
Il rappelle qu’il existe une réglementation récente sur ces questions pour le droit de la fonction publique avec en particulier la loi de 2016, renforcée par celle d’août 2019. Dès lors, la déontologie est prévue par la loi en ce qui concerne la fonction publique (avec des règles particulières pour certains corps : policiers, magistrats…).
Le droit du travail a le même souci de réglementer la déontologie mais la réglementation est plus parcellaire. Il n’existe pas de règles générales sur le comportement et la déontologie : il existe donc une différence de support / de normes.
Maître Nougarolis s’interroge alors : est-ce que les objectifs sont les mêmes ? A priori, la réponse est positive : il s’agit de fixer des règles qui garantissent collectivement que ces valeurs soient respectées et inciter les comportements individuels pour un respect collectif des valeurs.
Le vecteur commun dans le contrat de Travail est la loyauté. La bonne foi contractuelle est prévue par le code du travail mais ses déclinaisons multiples. Elles garantissent des libertés aux salariés : liberté d’expression (notamment dénoncer des faits), liberté d’appartenance syndicale…
Dans les relations de travail, les manquements sont sanctionnés par l’employeur. Il existe une » juridicité normative souple » : c’est l’employeur qui va déterminer le droit de sanctionner. Il rappelle qu’à partir de 20 salariés un règlement intérieur doit exister et prévoir notamment les procédures disciplinaires, les sanctions… En-dessous de 20 salariés, ce sont souvent des chartes d’éthique qui sont adoptées (mais cela pose certains problèmes). C’est donc l’employeur choisit la proportionnalité de la sanction, il dispose d’un pouvoir discrétionnaire dans la limite du contrôle juridictionnel.
Par ailleurs, il existe des réglementations parcellaires qui ont institué des référents ou des délégués dans les entreprises. Par exemple : depuis la loi avenir professionnel de 2018 il existe un référent harcèlement dans les entreprises, de la même manière avec le RGPD il existe un délégué à la protection des données.
Ainsi, il existe une différence de nature normative entre le droit de la fonction publique et le droit du travail à propos de la protection des valeurs : il existe un socle législatif dans la fonction publique, alors que le droit du travail repose sur un socle de droits fondamentaux avec des dispositifs spécifiques et surtout sur le pouvoir de direction de l’employeur.
Pour autant, cette différence de nature normative n’empêche pas que les manquements aux mêmes valeurs soient sanctionnés.
Maître Nougarolis conclut sa présentation en indiquant que, finalement, le droit de la fonction publique et le droit du travail poursuivent les mêmes finalités. Seuls les outils sont différents car les sources de droit sont différentes. Il est donc possible de considérer qu’on assiste à la construction malgré tout d’un droit de la déontologie dans notre ordre juridique national.
Le Professeur Pierre Esplugas-Labatut remercie Maître Nougarolis et donne la parole au Professeur Anthony Taillefait en lui demandant si, en se plaçant sous le prisme de la fonction publique, les finalités sont les mêmes?
Le Professeur Anthony Taillefait souhaite d’emblée apporter une réponse franche à la question posée : il considère qu’il n’existe pas une même éthique au regard des spécificités du droit de la fonction publique.
Pour expliquer sa réponse, il souhaite partir de réflexions sur les obligations du fonctionnaire. Il renvoie au texte de sa contribution et demande à l’auditoire de ne pas s’attarder sur la prise de notes.
L’idée qu’il souhaite défendre c’est qu’il n’y a pas d’équivalence entre exercer des fonctions dans l’administration et dans l’entreprise.
Il rappelle que jusqu’au milieu du 20ème siècle, une conception autoritaire de la fonction publique dominait, atteignant son paroxysme sous Vichy. Les fonctionnaires n’ont alors quasiment que des obligations et peu de droits (même si quelques droits sont reconnus en jurisprudence).
Après 1945, les droits deviennent plus nombreux pour les fonctionnaires. Des droits collectifs sont reconnus pour la première fois et il existe très peu d’obligations à ce moment-là.
Il explique que ce qui fait la particularité du droit de la fonction publique c’est l’horizon particulier qui est poursuivi. Le devoir premier est la primauté de l’intérêt général : c’est ce devoir qui implique la neutralité et l’impartialité, mais également qui explique le lien hiérarchique. Ainsi, le Professeur Taillefait conteste l’équivalence du droit de la fonction publique et de « l’imperium des affaires ».
Il existe selon lui une mercantalisation du droit de la fonction publique. Cette expression est préférée à celle de privatisation car les réformes amènent à instituer une représentation du travail marchandise dans l’administration. Or, traditionnellement et à la différence du salarié, le fonctionnaire ne vend pas sa force de travail contre un prix. Les fonctionnaires ne sont pas des travailleurs, ce sont des citoyens spéciaux.
La loi de 2019 introduit un droit de la mise en concurrence pour ordonner les directions de la fonction publique, avec la volonté de fluidifier les parcours professionnels. Les salariés du privés vont venir concurrencer les fonctionnaires pour l’accès aux fonctions de direction. Le droit de la fonction publique se rapproche ainsi des procédures prévues dans le cadre du droit des marchés publics.
La réforme passe par une individualisation des relations de travail, ce qui transforme la déontologie.
- L’individualisation doit permettre de mieux contrôler
- L’individualisation risque de faire perdre la solidarité (perte de l’aide des collègues)
- L’individualisation va favoriser le développement du management
- Elle doit permettre de « faire sortir les fonctionnaires de leur zone de confort » pour qu’ils soient bien évalués.
Le Professeur Taillefait n’a pas le temps de développer toutes ses idées mais il renvoie à sa contribution écrite et conclut en indiquant qu’il faut passer à une éducation à la déontologie pour les fonctionnaires : il faut rappeler les valeurs que l’on porte et l’horizon qui est le notre.
Le Professeur Pierre Esplugas-Labatut reprend la parole et formule une remarque : on sent que derrière cette loi il y a des considérations idéologiques ou politiques. Cela implique que l’on n’ait pas la même lecture en fonction de son positionnement personnel.
La discussion s’engage alors avec la salle, notamment sur la question du harcèlement sexuel et de sa difficile prise en compte par le droit de la fonction publique.
Madame Laurence Bouchet, directrice des ressources humaines de l’Université, prend la parole pour expliquer qu’il existe une population de fonctionnaires qui décroit et une population de contractuels qui augmente, ce qui renforce la précarisation.
Le Professeur Pierre Esplugas rappelle que cette question a déjà été évoquée lors d’une autre conférence. Il considère que la précarisation n’est pas réelle : l’attractivité de la fonction publique est moins importante car sur les emplois de direction les contractuels sont mieux payés que les fonctionnaires.
Le Professeur Pierre-Esplugas devant quitter la salle, c’est le Professeur Grégory Kalflèche qui anime la fin de la discussion. Celle-ci s’engage sur plusieurs points : la CDIsation est-elle assimilable à de la précarisation? La mise en concurrence sur les emplois de direction est-elle forcément négative? Les garanties apportées ne sont-elles pas les mêmes que dans un concours? Ne faudrait-il pas réformer certains modes de recrutement dans la fonction publique qui ont dévoyé le principe du concours?
La conférence se termine par des remerciements adressés aux intervenants et aux organisateurs.
Retrouvez ci-dessous en liens les textes de leurs contributions :