Les présents passages (non repris in extenso) sont principalement issus de l’introduction à l’ouvrage collectif « initiation au Droit » (lgdj ; 2011 pour la 1ère édition). Ils décrivent le cheminement de l’ouvrage et ses raisons d’être …
Pourquoi une nouvelle « Introduction ou Initiation » au Droit ?
Pourquoi, à l’initiative du professeur Touzeil-Divina, une association de juristes (praticiens et universitaires), par-delà les frontières académiques, a-t-elle accepté de participer à la rédaction d’un tel ouvrage collectif ?
Parce que celui-ci est unique et que sa démarche vient combler une lacune éditoriale. L’introduction au Droit [1], en France, est en effet une matière ou une approche la plupart du temps réservée aux enseignants de droit privé (les privatistes) et, parmi eux, le plus souvent aux seuls civilistes. Or, le Droit comprend une multitude de « branches » et de ramifications que le concept même d’Unité du Droit vient incarner. Il est donc non seulement préjudiciable mais également irréaliste de ne présenter le Droit qu’à travers le seul prisme du droit privé [2].
La science juridique comporte en effet une multitude de « facettes » que les bacheliers et les étudiants des premières années ne connaissent pas et ne peuvent pas connaître. Il fallait donc leur offrir une approche renouvelée de la matière : une vision quasi encyclopédique, c’est-à-dire embrassant de façon presque exhaustive l’ensemble des matières de « la » matière. En outre, la volonté de l’opus ici réalisé est également d’exposer aux lecteurs, non seulement une présentation rapide et donc parfois résumée et nécessairement succincte de la plupart des matières juridiques, mais également de présenter les études et les métiers du Droit.
En tant que tel, l’ouvrage n’est pas une « introduction » classique ou supplémentaire au Droit mais bien une « initiation ». Pour ce faire, ce sont près de cent contributeurs qui ont été réunis avec l’ambition de véhiculer une nouvelle vision, dynamique et pédagogique, du Droit. Qu’ils soient universitaires présentant la matière qu’ils enseignent, praticiens (magistrats, avocats, juristes, conseils …) évoquant, grâce aux fruits de leur expérience, un métier ou une branche juridique qu’ils vivent au quotidien, qu’ils soient confirmés (à la tête des plus hautes institutions juridictionnelles de la République ou titulaires des Universités françaises) ou plus jeunes (et dont les carrières, prometteuses, sont en devenir), tous ont accepté la proposition qui leur était faite et y ont répondu avec enthousiasme mais aussi avec rigueur. Certes, d’autres ouvrages existent afin d’introduire au Droit [3] mais aucun, de façon contemporaine, n’a adopté la même approche que la nôtre : initiatique, collective et encyclopédique [4].
Pourquoi encyclopédique ?
Mais, si la présente initiative est originale, elle n’en est pas pour autant unique … en tout cas historiquement ! En effet, cette introduction s’inscrit dans une tradition encyclopédique sans, bien entendu, prétendre à une comparaison avec les travaux d’un d’Alembert ou d’un Diderot. Cette forme implique alors une présentation ordonnée de toutes les branches qui composent et forment « le » Droit, « la » science juridique en une réunion coordonnée des connaissances contemporaines. En outre, c’est le substantif « initiation » qui est ici le plus important dans le titre de l’ouvrage et non l’adjectif « encyclopédique » qui ne fait que le qualifier. En effet, le présent ouvrage n’a pas vocation, en de nombreux volumes, à exposer l’ensemble de la matière et de ses connaissances. Il s’agit bien d’une introduction : d’une initiation au Droit. Initiation collective qui prend la forme d’une présentation quasi exhaustive et plurielle : encyclopédique. Ce qui est recherché, c’est la mise en avant d’une vue générale, d’un panorama du Droit et de ses ramifications et ce, tout en étant guidé par la notion d’Unité du Droit.
Académiquement cependant, cette entreprise n’est pas la première du genre. Car la présente démarche ressuscite une pratique qui a déjà eu cours dans l’Université française au milieu du XIXème siècle [5] et qui fut initiée précédemment encore dans les Ecoles allemandes [6]. Requis en 1838 par la première Commission des Hautes Etudes de Droit, un cours d’Introduction encyclopédique au Droit fut ainsi officiellement institué en 1840 [7] à Paris et fut assuré par De Portets. La chaire fut alors nommée « introduction générale à l’étude du Droit » et, selon la circulaire du ministre, elle devait tant que faire se le pourrait être assurée, dans les départements, par les professeurs suppléants. Il y fallait, expliquait le ministre Cousin, offrir une « notion précise, générale et élémentaire » de la science juridique. Pour ce faire, l’objet du cours d’encyclopédie était donc double : il s’agissait d’abord de présenter les différentes sources du Droit, y compris l’histoire et la philosophie, afin d’expliquer le droit positif (c’est-à-dire l’ensemble des règles normatives en vigueur sur un territoire et à un moment donné). En outre, il fallait exposer toutes les branches juridiques de la matière : du droit public au droit privé, du droit international (dit alors droit des gens) au droit français, de l’histoire et de la philosophie aux droits positifs. Ce cours, en tant qu’introduction, voulait donner aux étudiants un aperçu de l’ensemble des études juridiques sans n’en retenir, comme auparavant, que le droit privé et ce, dans sa présentation purement positive. En province, de nombreux enseignants acceptèrent cette nouvelle charge jugée profitable par plusieurs doyens qui se faisaient un devoir d’offrir à leurs étudiants un enseignement aussi riche que celui dispensé sur les bancs de l’Ecole de la rue Soufflot. Certains enseignants même, convaincus de l’utilité d’une telle chaire, en demandaient le caractère obligatoire pour toutes les Facultés. Ainsi, Prosper Eschbach [8], suppléant à Strasbourg, fut-il l’un d’eux. Il se spécialisa dans un tel cours car il était notamment persuadé que l’avantage premier de ces leçons était de délivrer aux étudiants des notions de droit naturel, droit indispensable selon lui, mais ignoré jusqu’alors : « Combien de licenciés quittent l’école sans même se douter de ce que c’est que le droit naturel ! Arrivés aux affaires, ils manquent de boussole ; en politique, ils vont droit à l’exagération ».
Il ne s’agira évidemment pas, dans l’ouvrage collectif ici proposé, de faire l’apologie du jusnaturalisme [9] (ou droit naturel) mais, de façon contemporaine et actualisée, de reconnaître les branches qui forment aujourd’hui le Droit en essayant d’en omettre le moins possible et en refusant de ne consacrer, d’une part que le droit positif et, d’autre part, en ne mettant en avant que (ou essentiellement) des matières de droit privé.
Bien qu’exceptionnelle et pertinente, l’initiative de 1840 fut assez vite abandonnée même si elle fut réactivée à au moins deux reprises : autour de 1900, à Bordeaux, par les travaux de Bonnecase, puis en 1953, à Paris, autour du doyen Julliot de la Morandière et du professeur Levy-Bruhl[10]. Notre initiative se distingue toutefois des précédentes en ce que, à la différence de l’ouvrage de Bonnecase, elle est le fruit de réflexions collectives et parfois même elle permet de considérer des visions individuelles complémentaires et pourquoi pas partiellement contraires. Il n’existe pas une vision unique de la science juridique et notre opus le traduit en respectant cette diversité mais ce, au sein d’un parcours tendant à un but identique. En outre, à la différence de l’ouvrage de 1953 issu de l’Ecole du Panthéon, notre proposition ne met pas en avant qu’une dizaine de matières jugées essentielles : elle va au-delà, en essayant d’exposer la plupart des branches de l’arbre juridique.
En outre, parce que l’enseignement du Droit est désormais résolument tourné vers l’avenir et qu’il ne peut plus [11] nier sa fonction professionnalisante, il a été fait appel à de nombreux praticiens pour décrire et décrypter les « métiers du Droit » et ce, non dans un ouvrage à part (ainsi qu’il en existe déjà) mais à l’intérieur de cette même introduction. Sont ainsi présentés non seulement les professions d’avocats, de notaires et de magistrats mais également les métiers de la fonction publique (notamment territoriale), des armées, du journalisme ou encore des très actifs lobbyistes.
[2] C’est pourtant ainsi qu’il en a longtemps été (et qu’il en est encore en partie en librairie comme dans les Universités) ainsi qu’en témoignait déjà l’ouvrage de : Lairtullier Alphonse, Introduction à l’étude du Droit ; Paris, Plon ; 1867. L’auteur ne méconnaît pas l’existence d’un droit public qu’il mentionne du reste mais semble estimer qu’introduire au Droit ne peut se faire que par (et pour) le seul droit privé.
[3] Parmi les meilleurs d’entre eux, et parce que notre initiative les complète, nous renverrons aux plus belles approches universitaires de cette thématique et ce, avec l’ouvrage, toujours contemporain et critique quant à l’existence même du Droit, du professeur Miaille Michel, Une introduction critique au Droit ; Paris, Maspero ; 1976 et celui, plus récent, du professeur Caillosse Jacques, Introduire au Droit ; Paris, LGDJ / Montchrestien ; 1998. Citons enfin l’excellent manuel, d’une envergure impressionnante et d’une exceptionnelle qualité, du professeur Terre François, Introduction générale au Droit ; Paris, Dalloz ; 2009 (8ème édition).
[4] En outre, notre opus n’a pas vocation, par exemple, à offrir une présentation exhaustive de ce qu’est le Droit (aux sens historique, juridique, sociologique mais aussi philosophique) ce que réalise parfaitement l’ouvrage (préc.) du professeur Terre. Cette réflexion, indispensable à tout aspirant juriste, doit être menée pour prendre conscience, notamment, de la nécessité normative dans un environnement où l’Homme est – naturellement ou divinement selon les conceptions – sociable.
[5] On se permettra de renvoyer sur cette initiative à : Touzeil-Divina Mathieu, Eléments d’histoire de l’enseignement du droit public ; Paris, LGDJ ; 2007 ; § 225 et s.
[6] On parlait alors de Juristische Encyclopaedie ou d’une Encyclopaedie der Rechtswissenschaft. Cf. en ce sens, la 4ème édition (1841 ; Thorel) de l’Encyclopédie juridique du professeur Niels Falck (traduite de l’allemand par le doyen Pellat).
[7] Ordonnance du 25 juin 1840 portant création d’une chaire d’introduction générale à l’étude du Droit à la Faculté de droit de Paris in Recueil (dit) de Beauchamp ; TI, p. 856 et circulaire 808 du 29 juin 1840 in Ministère de l’Instruction Publique, Recueil des circulaires et instructions officielles relatives à l’Instruction Publique (1802-1879) ; Paris, Delalain ; T. III, p. 47.
[8] Eschbach Prosper-Louis-Auguste, « De l’utilité d’un cours d’encyclopédie du Droit » in RLJ ; 1842, Tome XVI ; p. 257 et, du même, ses multiples éditions (dont la 3ème en 1856 ; Cotillon) de son Introduction générale à l’étude du Droit.
[9] A son égard et pour le définir, voyez infra la notice « Théorie du Droit ».
[10] Voyez ainsi : Bonnecase Julien, Introduction à l’étude du Droit ; Paris ; 1939 (3ème édition) ainsi que la publication collective des professeurs Esmein, Julliot De la Morandiere, Lévy-Bruhl, Scelle, Le Bras, Prélot, Byé & Marchal de leur Introduction à l’étude du Droit (2 vol. ; 1953 ; Rousseau).
[11] Ainsi qu’il en était d’ailleurs lors de sa recréation en 1806 où les Facultés étaient dites « Ecoles » pratiques de Droit.